J’ai gardé mes petits-enfants gratuitement pendant huit ans.
Et hier, ils ont dit qu’ils préféraient l’autre grand-mère…
et qu’elle apporte des tablettes. 

Moi, je suis la grand-mère de la soupe chaude.
Celle qui va les chercher à l’école.
Celle qui essuie les larmes, nettoie les nez, fait les devoirs, rappelle les règles.
L’autre grand-mère, c’est celle qui apparaît deux fois par an.
Élégante. Parfumée.
Les bras chargés de cadeaux chers.
J’ai 64 ans.
Mon dos est fatigué.
Pas à cause de l’âge…
mais à force de porter des sacs qui ne sont pas à moi,
de ramasser des jouets que je n’ai pas jetés,
et de soulever des enfants devenus trop lourds.
Ma vie tourne autour de celle de ma fille et de ses deux enfants.
Le matin, je me lève tôt.
Je prépare le petit-déjeuner.
Je les habille.
Je les emmène à l’école.
Je range la maison,
je fais à manger,
je gère les crises,
les devoirs,
les rappels.
Je suis la grand-mère de la routine.
La grand-mère « ennuyeuse ».
Hier, c’était l’anniversaire de mon petit-fils.
Je me suis levée à 5 h pour lui préparer son gâteau préféré.
Un vrai gâteau.
Fait maison.
Avec amour.
Je lui avais aussi acheté un livre
et un pull tricoté.
C’est ce que ma pension me permet.
À 16 h, l’autre grand-mère est arrivée.
Sourire parfait.
Entrée remarquée.
Deux boîtes brillantes dans les mains.
Des tablettes dernière génération.
Les enfants ont couru vers elle,
sans même me regarder.
Ils se sont assis, fascinés par les écrans.
Quand je leur ai tendu le gâteau et le cadeau,
mon petit-fils a soupiré :
« Oh grand-mère… c’est toujours des livres et des vêtements.
L’autre grand-mère, elle, apporte des tablettes. »
J’ai regardé ma fille.
J’attendais qu’elle le reprenne.
Qu’elle dise quelque chose.
Mais elle a juste souri :
« Tu sais maman…
toi, tu es la grand-mère de la routine.
Elle, c’est la grand-mère amusante. »
La grand-mère de la routine.
C’est donc comme ça qu’on appelle
le fait de nourrir, protéger, éduquer.
À ce moment-là, j’ai compris.
J’ai posé mon tablier.
Je l’ai plié soigneusement.
Et j’ai dit calmement :
« À partir de demain, je m’arrête. »
Panique.
Questions.
Pleurs.
« Mais maman, on a besoin de toi ! »
Oui.
Ils avaient besoin de moi.
Mais ils ne me respectaient plus.
Alors je suis partie.
Demain, je me lèverai sans réveil.
Je boirai mon café tranquillement.
Je mangerai une part de gâteau.
Et pour la première fois depuis longtemps,
je penserai à moi.
J’ai compris une chose, peut-être tard…
mais à temps :
Aimer ne veut pas dire s’oublier.
Aider ne veut pas dire se sacrifier.
Les grands-parents ne sont pas des baby-sitters gratuits.
Ni des meubles qu’on utilise sans remercier.
Le respect aussi fait partie de l’héritage qu’on transmet.
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